Les artistes algériens honorés à l’Institut du monde arabe pour les 60 ans de l’indépendance

Par Emir Kaplan, le 19/03/2022

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A l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’Institut du monde arabe accueille une exposition qui offre un beau coup de projecteur en France sur l’art moderne et contemporaine algérienne. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une série de rencontres et de projections qui auront lieu jusqu’au 31 juillet.

Il ne faut pas marcher longtemps pour en prendre plein les yeux à l’Institut du monde arabe (IMA). L’exposition « Algérie mon amour, artistes de la fraternité algérienne », lancée vendredi 18 mars dans le cadre des 60 ans des accords d'Évian, s’ouvre par la toile de Denis Martinez, intitulée Portes de l’Illumination (1991), qui fait plonger le visiteur dans une vision colorée et surréaliste de la réalité. Des formes et des images semblent se dessiner ici et là en laissant libre court à l’imaginaire. Le choix de cet artiste pour introduire l’exposition n’est sans doute pas anodin puisqu’il était professeur de l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger en 1962, passeur et pédagogue auprès de deux générations d’artistes algériens.

A sa gauche, l’œuvre Le Hoggar d’Abdallah Benanteur nous immisce dans une peinture qui nous laisse imaginatif. Sur ce tableau de 1960, on distingue assez nettement les petites touches de pinceau relevées sur toute la largeur de la toile. Le terme hoggar est la seule indication qui nous permet de déchiffrer le tableau ; il signifie « désert » en arabe et ici, il symbolise la douleur de l’auteur après la mort de son frère cadet dans le maquis algérien en 1958.

Répondre par l’humanisme

Au total, 36 œuvres de 18 artistes issus de trois générations différentes, exposent des œuvres qui reflètent l’histoire tumultueuse mais aussi fraternelle entre la France et l’Algérie. Le commissaire de l’exposition Claude Lemand, également donateur d’une série de tableaux venus enrichir considérablement la collection du musée l’IMA, se définit comme « le porte-parole de ces artistes » dont la première génération a transmis cette histoire « tumultueuse entre la France et l’Algérie ». Une histoire douloureuse mais aussi éminemment fraternelle retranscrite dans le titre de l’exposition.

L’œuvre Le Jardin des moines d’Abderrahman Ould Mohand est une illustration de l’humanisme connotée dans sa peinture, en référence au massacre des moines de Tibhirine lors de la guerre civile algérienne en 1996. La toile représente du pain, des fruits, et une carafe de vin en référence au repas frugal d’ordinaire chez les moines. Ici, rien ne laisse transparaître le massacre. Seule l’absence de figures laisse présager qu’un drame a eu lieu.

Les femmes à l’honneur

L’exposition fait aussi la part belle aux femmes, aussi bien en tant qu’artistes qu’en tant qu’objet de représentations. Les tableaux intitulés La Mère (1965) et Mère courage (1984) de M’hamed Issiakem, un des fondateurs de la peinture moderne en Algérie, représentent deux femmes en position debout. Toutefois, le visage dissimulé des femmes interroge. Là encore, un acte tragique a façonné l’imaginaire créatif de l’artiste. Le jeune Issiakhem a fait exploser une grenade en jouant, tuant deux de ses sœurs et l’un de ses neveux. Il perdra d’ailleurs lui-même l’usage de son bras gauche. Le visage à moitié dessiné représente en réalité celui de sa mère dont le regard traduit un pardon auquel il n’aura jamais droit.

Des artistes nées dans les années 1970 et 1980, issues de la troisième génération, sont également à l’œuvre. Halida Bougriet fait un clin d’œil à l’œuvre de Delacroix, Femmes d’Alger de 1833, en contournant la vision sensuelle occidentale de la femme orientale. Ses deux photographies intitulées Mémoire dans l’oubli de 2010 exposent deux veuves, elles aussi allongées, et ayant subi les violences de la guerre d’Algérie. Contrairement à Delacroix, les deux femmes ne sont pas perçues à travers le prisme du désir mais à travers les violences indicibles qu’elles ont subies.

Le tableau de Zoulikha Bouabdellah intitulé Le sommeil joue aussi de l’asymétrie avec les classiques français dont Gustave Courbet (1819- 1877). Alors que le peintre français avait représenté deux femmes allongées l’une contre l’autre après avoir eu une relation charnelle, Zoulikha Bouabdellah reproduit la même posture mais dénuée de connotation sexuelle. Le rouge est bien là, mais il symbolise le sang, en référence aux années noires du terrorisme islamique en Algérie, qu’elle a quitté à l’âge de 15 ans.

Pour Claude Lemand, « “Algérie mon amour” est un chant de la douleur de la terre et du peuple algérien colonisés et martyrisés, le chant de la culture et de l’identité algériennes niées et déracinées. C’est aussi le chant de la liberté et de l’espoir, du renouveau de la créativité artistique et littéraire et l’annonce d’une renaissance, nécessaire et tant attendue. "Algérie mon amour" est l’expression de l’amour que tous les artistes vouent à l’Algérie, les artistes de l’intérieur et plus encore ceux de l’extérieur ». « La fraternité des arts et des idées est plus vivace que jamais, selon le président de l’IMA Jack Lang. Elle est le fil d’Ariane d’une amitié franco-algérienne indéfectible ».

Exposition « Algérie mon amour, artistes de la fraternité algérienne », du 18 mars au 31 juillet 2022.
Du mardi au vendredi de 10h à 18h et les samedis, dimanches et jours fériés de 10h à 19h.
Exposition gratuite le 5 juillet 2022, jour de l’indépendance de l’Algérie.

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