L'itikaf, la retraite spirituelle du mois de Ramadan : pourquoi et comment ?

Par Abderrahmane Aknou, le 12/04/2023

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Au cœur de notre société centrée sur la vie d’ici-bas et qui offre un accès facile aux biens matériels, nous avons besoin de rompre avec nos habitudes et de revoir le cours de notre vie. Se retirer quelques jours pour recentrer son regard sur soi et gagner en lucidité quant à nos défaillances. En effet, autant l’être humain est clairvoyant sur les défauts d’autrui, autant il est aveugle sur ses propres défauts. Cet aveuglement se trouve encore renforcé par le tumulte du monde et l’agitation des hommes.

L’insouciance, l’amour propre, le poids de la vie d’ici-bas dans les cœurs, sont des voiles qui nous empêchent de voir nos réalités intérieures en face et nous tiennent prisonniers des préoccupations superflues et des soucis inutiles.

La retraite, « i’tikâf », offre le moyen de se retirer du monde l’espace de quelques jours et de profiter d’un temps propice pour s’occuper de soi-même et vivre dans la présence à Dieu. Le verbe « ‘akafa » signifie en arabe s’appliquer avec assiduité à quelque chose. Il correspond à cette tradition du Prophète de se retirer totalement dans sa mosquée pour être avec Dieu et vivre intensément les instants précieux de la fin du mois béni de Ramadan.

L’i’tikâf est à la fois un espace sacré et un temps béni de retraite totale. Il symbolise ces moments de solitude du Prophète dans sa grotte, puis dans sa mosquée malgré les grandes responsabilités qui étaient les siennes. Les Mères des croyants le pratiquèrent ; les compagnons et des générations d’hommes de Dieu s’y sont également attachés avec ferveur et constance et ne perdaient jamais l’occasion de vivre en retraite les 10 derniers jours de Ramadan, ceci pour rentrer en communion avec le monde de la vie dernière.

La retraite spirituelle est une expérience unique qui se vit et se goûte, sans véritablement pouvoir être décrite. Ceux qui l’ont observée au moins une fois dans leur vie vous diront la joie, la sérénité et l’apaisement qui les ont accompagnés en ces moments.

Des fruits de la retraite

Ces quelques lignes ne peuvent rendre compte de la grandeur de cette pratique, ni de l’importance de l’accomplir comme il se doit et encore moins des fruits qu’elle génère pour le fidèle et pour la communauté car c’est du ressort de Dieu dans son infinie sagesse.

A – Se maîtriser

La maîtrise de soi est une conquête sur les tentations, les passions, et l’attraction qu’exercent sur nous nos habitudes de confort et nos contraintes du quotidien.

La maîtrise de soi, l’éducation de l’ego sont l’ascèse par laquelle l’Homme se purifie. La discipline du jeûne et la retraite sont parmi les pratiques les plus rigoureuses en Islam par lesquelles s’affirme la volonté (Abdessalam Yassine, La révolution à l’heure de l’islam, 1980).

La retraite offre, pour les âmes assoiffées, un moment de silence, de méditation, de prière, de rappel durant lequel les hommes repentants font de grands progrès et découvrent des vérités jusque-là insoupçonnables. Là, les âmes pieuses trouvent la source des larmes dont elles se lavent et se purifient toutes les nuits et s’unissent d’autant plus intimement à leur Créateur.

B – S’affirmer

Avant de porter le message qui changea la face du monde et avant de commencer sa vie publique de témoignage et d’Appel, le Messager de Dieu avait l’habitude de consacrer de longues périodes de retraite, loin du tumulte des grandes villes et du commerce des hommes. Par la suite, il continua à consacrer tous les ans quelques jours pour le recueillement, notamment pendant les dix derniers jours du Ramadan.

Le Prophète, modèle parfait de spiritualité, vivait constamment dans la présence à Dieu et n’avait pas besoin de se retirer du monde pour être avec Dieu. Cet attachement de sa part était une manière de nous interpeller et de nous enseigner l’importance de ces moments de ressourcement dans notre quête de Dieu.

Les acteurs musulmans engagés dans les différentes dynamiques associatives doivent être les plus concernés par ces rendez-vous de spiritualité afin de puiser l’énergie et la force pour réviser les intentions, continuer et surtout embellir leurs engagements. « S’ils n’apprennent plus, disait Tagore, comment enseigneraient-ils ? Jamais une lampe éteinte n’a pu en allumer une autre. »

Quelques moyens pour réussir sa retraite

A – Revoir ses intentions

La retraite doit être, pour celui à qui Dieu accorde et facilite ce bienfait, une préparation à une rencontre éminente avec Lui. Qui sait ? Cette retraite, dans le dessein de Dieu, est peut-être la dernière qui me reste à vivre.

C’est l’occasion de revenir à Dieu, de faire son repentir, d’exposer ses besoins, d’implorer Dieu, de reformer sa voie. Venir avec un besoin, car une belle retraite est celle que nous faisons dans un état de besoin, avec une inquiétude par rapport à son devenir et un désir de Dieu et de la vie dernière.

B – L’isolement

S’isoler autant que possible, s’imposant pour loi de garder le silence. Bien que la mosquée soit pleine, la retraite n’est pas un exercice de communication et de relations. Cela aide à mieux se concentrer sur sa relation avec Dieu. Plus on se débarrasse des distractions et des futilités mieux on profite du temps qu’on a consacré à cette adoration.

C – Partager la bénédiction

Dans les moments de la plus intense intimité spirituelle, le Prophète n’oubliait pas ses frères, sa communauté et les humains en général. Il implorait Dieu : « Ô mon Dieu, ma communauté, ma communauté ! »

En portant le souci des autres, notre retraite devient alors non pas un moyen pour un salut individuel mais participe au salut collectif de la communauté et de l’ensemble de l’humanité.

D – Une discipline et un programme

La vie de chacun de nous est imprégnée d’habitudes qui s’apparentent à terme à des caractères bien ancrés dans la personnalité et difficilement réformables.

La retraite est une occasion pour aller à contre-courant de cette deuxième nature : une habitude ne peut être surmontée qu’à l’aide d’une discipline bien observée.

Une discipline sage et rigoureuse permettra d’incarner et d’assimiler de nouveaux comportements, une nouvelle façon d’être, de naître, douloureusement peut-être, à une vie nouvelle.

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Abderrahmane Aknou est membre de Participation et Spiritualités Musulmanes (PSM). Première parution de l’article sur le site de PSM.

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