Intelligence artificielle : ChatGPT, c’est Pharaon ou Moïse

Par Mohammed Colin, le 04/05/2023

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Depuis la sortie de ChatGPT 4 et ses spectaculaires avancées dans le traitement de tâches et de problèmes que seul jusqu’à présent l’esprit humain était à même de traiter, les médias – et ce n’est pas un hasard – semblent être pris par une forme de sidération. La crainte de voir disparaître de nombreux métiers parmi lesquels celui de journaliste suscite beaucoup d’émois au sein des rédactions.

La prise de conscience des bouleversements induits par ChatGPT a commencé dans les milieux scolaires où des étudiants, par fumisterie ou par taquinerie, ont livré des copies entièrement rédigées par l’intelligence artificielle (IA), suscitant alors stupeur et tremblement parmi leurs professeurs après s’être rendus compte de la méprise, d’autant que les notes pouvaient côtoyer facilement les 16/20…

Comme toujours avec la tech, ChatGPT suscitent des réactions diamétralement opposées, et pas qu’auprès du commun des mortels.

Deux camps opposés

Il y a le camp des pessimistes. Parmi eux, on y trouve l’éminent physicien Stephen Hawking, spécialiste des trous noirs. De son vivant, il estimait que l’avènement d’une IA forte serait le plus grand évènement de toute l’histoire de l’humanité mais aussi le plus dangereux.

« On peut imaginer une telle technologie déjouer les marchés financiers, dépasser les chercheurs, manipuler nos dirigeants et développer des armes dont on ne pourra pas comprendre le fonctionnement », tenait-il à nous alerter. Une vision catastrophique où l’on peut voir un aperçu dans les scénarios de Terminator, Matrix ou de l’excellent Ex Machina et à laquelle adhèrent des personnalités telles qu'Elon Musk, l’ex-vice-président d’OpenAI, organisation abritant ChatGPT, et Bill Gates, le fondateur de Microsoft qui vient d’investir plusieurs milliards de dollars au développement de ChatGPT. Finalement une vision pas si éloignée de l’univers désenchanté des technologies futuristes que nous laisse voir, à travers ses romans SF (Périphériques en particulier), l’écrivain William Gibson, inventeur en 1984 du terme « cyberespace ». Assez déroutant tout de même.

En face, le camp des optimistes, emmené par la majorité des acteurs de la Silicon Valley qui promettent à qui veut l’entendre de doter de super-pouvoirs, la multitude. Limiter le changement climatique, proposer l’accès universel à l’éducation, éliminer les maladies… rien ne semble impossible à tous ces dévots de l’IA.

Vers un accroissement sans aucune mesure des inégalités ?

Pourtant, une réalité s’impose. ChatGPT rencontre un immense succès avec ses 200 millions de comptes en l’espace de seulement quelques mois. C’est la croissance la plus rapide de tous les temps, loin devant Facebook. L’un des facteurs clefs de cette réussite est la gratuité de l’usage de cette technologie de pointe, ce qui devrait nous interroger. Car, au fond, le très grand danger des IA, c’est sans doute l’accroissement sans aucune mesure des inégalités liées aux usages du numérique et non pas à son accès.

Dans nos pays industrialisés mais aussi dans les pays à faible PIB, pratiquement tout le monde possède un terminal pour accéder au web. Une personne au RSA peut, s’il le souhaite, acquérir un smartphone dernier cri. Et, à certains endroits dans le monde, un GSM connecté à Facebook est plus accessible que l’eau potable.

L'analphabétisme numérique peut se mesurer à travers le développement du jugement que l’on construit à partir de la Toile

La fracture est désormais différente. Il y a ceux qui pensent qu’Internet ne sert qu’à jouer, s’amuser tout au plus, à se socialiser sur Facebook ou TikTok.

En face, il y a ceux qui savent apprendre avec les technologies digitales ou encore à en tirer toutes les opportunités économiques et professionnelles. Cet analphabétisme numérique peut se mesurer à travers le développement du jugement que l’on construit à partir de la Toile, la recherche d’information, la manière dont on livre ses informations personnelles. La capacité des individus à passer ou pas à travers des bulles de filtres dans lesquelles les algorithmes nous enferment constitue aussi un bel indicateur. On sait que ces personnes sont plus vulnérables aux fake news par exemple.

En grossissant le trait, pour mieux en percevoir les enjeux, nous avons, d’un côté, ceux qui proposent leur « temps de cerveau humain disponible » pour reprendre l’expression formulée par feu Patrick Le Lay, alors PDG du groupe TF1, et, de l’autre côté, ceux – une minorité – qui savent se connecter et se déconnecter tout en créant de la valeur. Il y a ceux qui sont asservis par toutes ces IA et ceux qui libèrent leurs potentialités par le biais de ces nouvelles applis. En somme, nos usages nous conduisent soit à Pharaon, soit à Moïse.

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