De la violence à la paix : regards croisés à l’Assemblée nationale

Par Leïla Hamidou, le 09/07/2024

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A l’occasion de la Journée internationale du vivre ensemble en paix (JIVEP) le 16 mai 2024, bien avant la dissolution, un colloque intitulé « De la violence à la paix : comment ? Regards croisés » s’est tenu à l’Assemblée nationale à l’initiative de la Coordination Interconvictionnelle du Grand Paris (CINPA). Jean René Brunetière, Morice de Lamarzelle, Christine Taieb et Marc Lebret, en collaboration avec d’autres membres de la CINPA, ont porté avec brio ce projet depuis sa conception jusqu’à sa réalisation : une incontestable réussite.

Inaugurant ce colloque, le député de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier, qui a permis que cette réunion se tienne à l’Assemblée nationale, a rappelé que, dans d’autres salles, tout autour de nous, se discutaient simultanément des sujets d’actualité graves, échos du monde, sur l’Ukraine, la Nouvelle-Calédonie, la fin de vie... Ce rappel situait le contexte dans lequel se déroulait cette JIVEP, au sein de ce haut lieu de la démocratie, lui donnant une certaine solennité à grande valeur symbolique.

« Que la société civile s’engage dans le politique à un moment où se profile le triomphe du totalitarisme est crucial. Ce colloque est précieux par la conversion des cœurs », avait-il ajouté. Le thème choisi pour célébrer la JIVEP à l’Assemblée nationale s’est ainsi inscrit au cœur de débats nationaux importants. Comme guidés par la devise de l’association Compostelle-Cordoue, « Marcher, dialoguer, comprendre », les conférenciers nous ont conduits sur un chemin ardu, nous faisant progresser « de la violence à la paix »… car construire la paix n’est pas chose évidente. Les racines de la violence, les obstacles à surmonter et les ressources pour parvenir à la paix ont été abordés.

Lutter contre la violence par l’éducation à la paix

Le premier intervenant, le socio-économiste Bernard Perret, s’appuyant sur les écrits de l'anthropologue René Girard, remonte à la source de la violence humaine en la situant dans la nature mimétique du désir humain : « L’imitation, propre de l’Homme, quand elle porte sur des désirs et des conduites d’acquisition, engendre des rivalités. Désirer ce que possède ou ce que désire l’autre, quand on ne l’a pas, fait naitre le sentiment qu’on en est injustement privé. L’autre devient la personne à abattre. Là se situe la naissance de la violence qui suscitera une réponse semblable, réciproque. La violence, phénomène mimétique est contagieuse. »

La violence initiale, contagieuse, peut changer de cible, s’orientant sur une autre personne « innocente », métamorphosant de manière non consciente la « violence de tous contre tous » en « violence de tous contre un ». C’est la naissance du « bouc émissaire ». Les liens au sein d’un groupe s’en trouvent renforcés, créant des identités collectives : « eux » et « nous », entités bien distinctes. La violence collective sera validée par des récits mensongers qui la justifient et qui, donnant naissance à des héros et des victimes, seront sources de nouvelles violences… La violence collective mobilise la solidarité et le dépassement de soi au sein du groupe, sentiment d’élévation et d’enchantement, véritable sacralisation. Pour rompre ce dramatique enchainement mimétique et viser la réconciliation, il s’impose un difficile travail d’éducation avec des outils adaptés pour désarmer chaque étape du processus.

Karel Fracapane a, quant à lui, évoqué le rôle de l’UNESCO dans l’éducation à la paix. Cette culture de paix doit être un processus inclusif, participatif. Elle s’étend à de nombreux domaines qui sont interconnectés : la géopolitique, le dérèglement climatique, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle… L’UNESCO s’attache par ailleurs à promouvoir une éducation à la citoyenneté mondiale, accordant toute leur valeur à la dignité humaine et au respect de tous. Cette éducation peut éveiller les consciences et briser le cycle de la violence résultant de la polarisation, des discours haineux, de la discrimination et d’autres dynamiques qui peuvent conduire à des atrocités criminelles et à d’autres violations des droits de l’Homme. L’UNESCO œuvre pour procurer aux apprenants les moyens de devenir des citoyens du monde responsables et actifs.

S’inspirer de l’histoire pour garder chevillées au corps les valeurs

Le colloque a continué par l’intervention d’Alfonso Zardi, ancien membre du Conseil de l’Europe et délégué général de Pax Christi France, une ONG catholique, consultative auprès des institutions internationales de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Pax Christi, fondée en 1945 sur le projet de la réconciliation franco-allemande, œuvre pour une culture de paix. Alfonso Zardi a rappelé ce miracle historique que fut la construction européenne ; miracle par son but d’assurer la paix par la prospérité commune des Etats qui la constituait, par la libre circulation des personnes et des biens en son sein. S’en sont suivis d’autres temps forts au cours de ce colloque. Hanna Assouline est fondatrice des Guerrières de la paix. Cette association de femmes de cultures différentes, des musulmanes et des juives en particulier, est porteuse d’un désir de paix, de justice et d’égalité entre les communautés.

Hanna a porté son témoignage d’artisane de paix avec une puissante ferveur et une conviction pleine d’espérance : « Le choix de la paix coûte cher et briser la loi du clan en militant pour une reconnaissance réciproque des Palestiniens et des Israéliens passe souvent pour une traitrise ! Seules les sociétés civiles militant pour la paix peuvent sauver la paix… Nos larmes ont la même couleur. »

Hanna nous a permis de croire que ce combat qu’elle mène haut et fort n’était pas qu’une utopie de plus dans ce monde d’injustices déchiré par les haines et les destructions… Ce fut un grand moment d’émotion dans la salle ; Hanna a d’ailleurs été longuement applaudie par toute l’assistance, debout, à l’Assemblée nationale.

En écho à cette guerrière de la paix, l’écrivain Ahmed Bouyerdene a relaté le parcours d’un autre illustre guerrier, algérien, l’émir Abdelkader. Né en 1808 dans une confrérie soufie dirigée par son père, il a bénéficié d’une éducation religieuse musulmane d’excellence dont il incarnait toutes les valeurs morales et éthiques. L’émir Abdelkader, grand mystique, a mené un combat moral intérieur sans concession.

Très jeune, il s’est aussi révélé comme un chef militaire de renom, reconnu. Il fut un précurseur de la défense des droits des prisonniers de guerre. Profondément inspiré par les valeurs de l’islam, il a su préserver son humanité dans des circonstances où lui et les siens ont enduré de longues années d’un emprisonnement douloureux d’une grande violence. Son exemple riche d’enseignements peut en inspirer beaucoup pour garder chevillées au corps les valeurs qu’il portait, les incarner dans son sillage et résister contre vents et marées, sans se laisser dévier par les agressions multiples de notre monde actuel.

La transformation intérieure nécessaire pour tout cheminement vers la paix

Pour Dominique Bertucat, c’est une autre forme de violence à laquelle elle a dû se confronter, plus intime et radicale : la perte de la vue, définitive, à 45 ans. Cette chute vertigineuse dans les abysses ténébreux a été un profond bouleversement dans sa vie. Dans ce désastre de la nuit noire, des forces insoupçonnées se sont révélées en elle. Elle fait alors le choix de livrer un fantastique combat intérieur. Ses pas la mènent vers une autre perception du monde, « un monde intérieur qui n’est pas une fin en soi, mais une naissance. Ce n’est pas une rupture mais une réconciliation avec le monde extérieur et qui m’apporte la sérénité. Mon intérieur est plein de richesse, ouverture vers l’autre, compréhension de votre monde… », nous dit-elle.

Aujourd’hui, elle est présidente de l’association des Yeux en promenade et elle est active dans le domaine de l’audiodescription de films, un procédé audio qui apporte pour les non-voyants des éléments sur ce qui se passe à l’image, que le son du film à lui seul ne permet pas de percevoir. Dominique Bertucat nous a offert avec confiance le récit de sa lutte pour dépasser cette douloureuse épreuve de sa vie qu’elle a surmontée, un bel exemple de résilience.

« La violence du monde et la nôtre coexistent. Indissociables », nous dit Anne Ducrocq, s’exprimant au sujet de la transformation intérieure nécessaire pour tout cheminement vers la paix. Pas de paix avec autrui sans pacification intérieure. C’est se faire violence que de reconnaitre en soi nos pulsions immorales, nos lâchetés, nos pensées haineuses, racistes… et les accepter ! Un travail bien difficile à faire. L’obstacle majeur à cette paix intérieure, nous dit-elle, est le refus de percevoir sa propre vulnérabilité qu’on cache à soi, aux autres. Trois grandes tentations sont sources de violences interpersonnelles : avoir plus, plus d’argent, plus de biens ; pouvoir tout maîtriser, pouvoir sur autrui, le dominer ; savoir car détenir le savoir met dans une position supérieure.

La paix ne peut advenir sans un combat spirituel pour extraire de soi l’orgueil, la haine de l’autre et tous les obstacles multiples qui empêchent une relation à l’autre respectueuse, d’égal à égal. Pas de paix si on ne prend pas le chemin vers partager l’avoir, servir avec le pouvoir qui nous a été confié, et transmettre le savoir. Ce chemin ne s’achève jamais, inlassablement nourri par une lutte contre soi-même, contre le désir d’avoir toujours raison, d’en vouloir toujours plus…

Christine Taïeb, présidente de la section Paris de l’Amitié judéo-musulmane de France (AJMF), et Marc Lebret, cofondateur de la CINPA, nous ont livré les pépites récoltées en réponse à la question proposée aux participants : « Et vous, comment construisez-vous la paix ? En couple, en famille, au travail, en groupe, entre voisins, en vous-même ? » Un florilège de réponses variées et très inspirantes.

La poésie était brillamment représentée par Nadia Lang, qui a déclamé un fragment du poème « La guerre sainte » de René Daumal, et Hajar Mesbah, qui a chanté un poème d’Ibn Arabi, véritable moment de recueillement. Francesco Agnello, metteur en scène, compositeur, percussionniste de renom, a interprété avec maestria des morceaux de Hang après chaque intervention. Cet instrument de percussion insolite, envoûtant, a donné un souffle particulier, comme un écho apaisant à ce qui venait d’être dit, une véritable respiration.

Ne pas renoncer à raviver notre désir de paix

La PAIX ! La faire en nous, désarmer nos préjugés… Faudrait-il être atteint d’Alzheimer pour oublier nos petites rancunes assassines ou être atteint de cécité pour passer outre ces voiles que sont une couleur de peau, une façon d’être vêtu et aller vers l’autre sans peur, en toute confiance ? Les conférenciers nous ont apporté leur éclairage pour y parvenir ou y tendre.

Une journée pour vivre ensemble en paix, obtenue de haute lutte par le cheikh Khaled Bentounès, a le mérite de rappeler que rien n’est acquis définitivement. A l’Assemblée nationale, cette JIVEP orchestrée par la CINPA à Paris aura été comme un « petit écho » à celle organisée par nos partenaires d’AISA ONG internationale et célébrée durant trois jours au Palais des Nations à Genève.

Ce 16 mai 2024 parisien a été pour tous, un temps de réflexion, de questionnements et d’échanges enrichissants. Peut-être dérisoire, certes ! Le chemin sera encore long, difficile, et il faudra faire feu de tout bois pour raviver notre désir de paix et, en dépit de tous les obstacles, si nombreux, s’acharner pour rester sur ce juste chemin, ne pas abdiquer et renoncer. « Ceux qui vivent sont ceux qui luttent », nous dit Victor Hugo ! Emboitons le pas à tous les artisans de paix qui ont réalisé ce 16 mai avec foi, persévérance et détermination. Gardons à l’esprit ce désir de paix plein d’espérance que cette soirée à l’Assemblée nationale a ravivé en nous.

Bravo à tous les organisateurs, Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, Laurent Grzybowski, président de la CINPA, Marc Lebret, son secrétaire général, Christine Taïeb, présidente de l’AJMF-Paris, Jean-René Brunetière, président de Compostelle-Cordoue, et à l’infatigable Morice De Lamarzelle qui, s’est assuré de la communication de l’évènement. Dans une salle Colbert comble, le public qui a répondu présent a sa part, lui aussi, dans la réussite de cette JIVEP. Ce colloque, accueilli dans ce lieu mythique, a pris une valeur symbolique encore plus grande face au contexte politique français troublé après la dissolution de l’Assemblée nationale.

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Leïla Hamidou est membre de l’association Compostelle-Cordoue, qui fait partie de la Coordination Interconvictionnelle du Grand Paris (CINPA).

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