Soufisme et œcuménisme : l’unité des sagesses du monde au-delà de leurs différences seulement apparentes

Par Abdennour Bidar, le 02/08/2024

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Que Pir Zia Inayat Khan soit remercié pour cet ouvrage immense d'érudition et des plus larges perspectives qu'est « Soufisme et unité mystique des religions » ! C'est bien en effet sur l'océan entier desh sagesses du monde qu'il nous invite à voyager ici, depuis la vague originelle du rivage de l'Inde jusqu'à la vague ultime de l'islam, dernière révélation divine pour ce cycle humain.

Cet océan, si vaste soit-il, n'est cependant qu'une goutte dans l'océan infini de la réalité divine, et les sagesses inspirées à notre humanité par le divin, qui est en nous comme notre « je » véritable, ne sont que quelques perles éparses dans le trésor de la connaissance que Allâh a de lui-même.

Dans cet océan des sagesses, le jeu des vagues est perpétuel, leur mouvement et leur embrassement toujours renouvelé, sans une seconde de repos. Par quoi ce jeu est-il créé ? Pourquoi cette mer bouge-t-elle sans répit et, selon les heures, paisiblement ou furieusement ? Parce qu'à chaque fois qu'une conscience humaine découvre, lit, récite, médite, commente, discute une parole de sagesse, c'est une nouvelle petite vague, si minuscule soit-elle, qui se forme sur le vaste océan; et, à une toute autre échelle, à chaque fois que des peuples entiers sont inspirés et emportés par ces sagesses, qu'ils en font surgir des systèmes, des civilisations, et parfois des guerres, c'est toute une partie de ce même océan qui soudain se soulève et qui, parfois, gronde avec fureur... Les hommes qui font vivre ces sagesses agitent ainsi sans arrêt leur océan, son indéfini mouvement, par leurs élans de foi, individuels et collectifs, lucides ou fanatiques, et aussi par leurs discussions et disputes interminables au sujet de ces sagesses, de leurs significations inépuisables, de telle sorte que siècle après siècle, millénaire après millénaire, ces milliers d'interprétations, de comparaisons, de controverses contribuent à donner à la mer de la connaissance sa variété de chaque instant.

L'ouvrage de Pir Zia Inayat Khan est à cet égard lui-même une vague, lui-même une rencontre de vagues, lui-même un océan, lui-même enfin, comme celui de son illustre devancier Dârâ Shikôh au XVIle siècle, une « rencontre des océans » (majma' al bahraïn), Car il nous introduit à la méditation, compréhension et comparaison des plus grandes vagues de la sagesse disponible dans cette humanité : l'hindouisme, le taoïsme, le confucianisme, le bouddhisme, le zoroastrisme. le judaïsme, le a christianisme, et enfin, l'islam.

Le travail de l'auteur est ici impressionnant. Seule une vie passionnément et longuement dédiée à l'étude permet de rassembler de références, de citations parmi les meilleures, issues de toutes ces traditions, et seule une intelligence profonde de leur harmonie cachée permet, comme c'est le cas ici, de montrer qu'ensemble elles tisse une œuvre d'art souveraine, accomplie. Il y a des êtres auquel il est ainsi donné de percevoir les correspondances secrètes, les résonances subtiles, I’unité là où, d'ordinaire, on ne voit que différence, étrangeté, contradiction et cacophonie.

L’unité des sagesses au-delà de leurs différences et divergences seulement apparentes... Voilà l'invisible auquel donne accès tout le visible de ce précieux livre. Car s'il y a bien une unité de toutes les grandes sagesses du monde, cette unité est transcendante comme le disaient naguère René Guénon ou Frijthof Schuon - parce qu'elle se situe non pas dans la lettre de ces sagesses, non pas même dans leurs interprétations les plus puissantes, qui montrent déjà leur convergence et qui manifestent une part de leur secret. une part seulement. Non, l'unité des sagesses du monde est cachée dans la source divine qui les a inspirées, dans « l'impénétrable » divin (As Samad) dont elles ont surgi comme de l'obscurité d'une matrice dont émane la lumière du sens et des formes.

Dès lors, lorsqu'on compare deux sagesses, lorsqu'on tisse entre elles des liens. lorsqu'on manifeste leur confluence essentielle, on ne le fait qu'à partir d'un troisième terme qui est l'invisible de la réalité divine incommunicable. C'est en Allâh, et en lui seul, et par lui seul, que tout est Un (Ahad). C'est bien ce à quoi fait allusion ce livre, ce qu'il ne dit pas mais qu'il suggère à travers tout ce qu'il dit: en faisant entendre et se répondre les voix de toutes les grandes sagesses, il les donne à entendre seulement comme autant d'échos, répercutés dans la caverne de l'histoire de cette humanité, d'une même voix primordiale, d'un même souffle originel sorti de la poitrine d'Allâh.

Dès lors, la vocation d'un tel ouvrage me semble claire, même si, bien entendu, chacun en fera l'usage qu'il souhaite. Il est support de ce que tradition initiatique de l'islam, le soufisme, appelle le dhikr, c'est-à-dire la pratique du « souvenir d'Allâh », l'éveil à sa réalité, à sa présence en toutes choses et au-delà de toutes choses, à son unité apparente et voilée, a mystère ineffable. Puisse donc ce livre constituer, pour ses lectrices et lecteurs, un dhikr de la connaissance : sa lecture et son étude être l'un de ces exercices par lesquels l'être humain, prenant conscience d'Allâh, reprend simultanément conscience de lui-même et de la réalité entière pour s'apercevoir, finalement, qu'il vit bien depuis toujours et à jamais dans l'océan sans fond, sans surface et sans rivages de la réalité unique et infinie qui, en islam et pour se faire connaître, s'est donnée le Nom de Allâh. Comme le disait le saint soufi Ibn 'Atâ Allâh dans ses Hikâm, « Allâh était, et rien n'était avec Lui; Il est maintenant comme il était alors ».

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Abdennour Bidar, normalien, docteur et agrégé de philosophie, inspecteur général de l’Éducation nationale, est un auteur prolifique, connu pour ses interventions publiques en faveur des notions de fraternité et de laïcité. Il a publié plusieurs titres chez Albin Michel, dont Plaidoyer pour la fraternité, juste après les attentats de janvier 2015, et Quelles valeurs partager et transmettre aujourd'hui ? en 2016. Il est aussi l'auteur de l'ouvrage Les Cinq piliers de l'Islam et leur sens initiatique (2023).

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