La France que j’aime, la France qui m’inquiète : des citoyens musulmans face au climat de doute

Par Azzedine Gaci, le 11/07/2025

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Majid est arrivé en France au milieu des années 1990, fuyant la décennie noire en Algérie. Accompagné de son
épouse et de leurs deux jeunes enfants, il a posé ses valises avec un simple visa touristique. Il ne repartira jamais, préférant l’exil à l’insécurité de son pays natal. Pendant de longues années, il a vécu dans la clandestinité, sans papiers, confronté à la peur, à la précarité et à l’angoisse du lendemain.

Un jour, il vient me voir à la mosquée.
- « J’aime profondément ce pays, j’aime la France », me dit-il.

Surpris, je lui demande pourquoi, tant d’attachement alors qu’il endure autant de souffrances ? Il me répond :
- « Mon fils Riad avait deux ans à notre arrivée. Il en a six aujourd’hui, mais je ne l’ai pas encore inscrit à l’école. J’ai peur. Peur d’être repéré, expulsé. Cela fait six mois que je ne dors plus. Finalement, avec mon épouse Linda, nous avons décidé de l’inscrire. Nous avons choisi de faire confiance à Dieu. »

Le lundi suivant, ils se rendent à l’école Jean Moulin. La directrice les accueille avec bienveillance :
- « Je suis directrice d’école, pas policière », leur dit-elle. « Mon rôle est d’accueillir votre enfant et de l’accompagner vers la réussite. »

Un quart d’heure plus tard, Riad est inscrit. Le lendemain, il fait sa rentrée.

- « Ce fut le plus beau jour de ma vie en France », raconte Majid, les larmes aux yeux. « Ma femme a pris la directrice dans ses bras. Nous étions soulagés. C’est cette France-là que j’aime : humaine, généreuse, digne. »

Trente ans ont passé. Majid est devenu citoyen français. Il travaille, sa femme aussi. Leur fils Riad, brillant étudiant finit ses études de médecine. Il veut devenir cardiologue. Le rêve républicain semble accompli.

Et pourtant, quand je revois Majid un vendredi à la mosquée, il est inquiet.
- « Je ne comprends plus », dit-il. « J’ai souffert pour m’intégrer, pour élever mes enfants dans le respect des lois, des valeurs de ce pays. J’ai rencontré des Français admirables. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que la France doute de moi, de ma famille. »

Il poursuit, le regard assombri :
- « Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est de constater qu’une partie croissante de la population française remplace la confiance par le doute, et le doute par le rejet - parfois même la haine de l’autre. Je me retrouve dans une situation qui me rappelle celle que j’ai vécue il y a trente ans. J’ai du mal à me projeter dans un avenir stable, dans ce pays que j’aime, où l’on enferme trop souvent les musulmans dans un même cliché. Nous devenons, malgré nous, des objets de débat économique, politique ou sécuritaire, perçus avec méfiance, parfois même par nos voisins, nos amis, nos
collègues. C’est lourd à porter. C’est cette France-là qui m’inquiète. »


Majid évoque avec douleur un climat devenu de plus en plus pesant, presque hostile, envers les citoyens de
confession musulmane.

- « Le doute s’est installé en moi. Il ne me quitte plus. Je suis venu ici avec l’incertitude du lendemain. Après tant
d’efforts, j’ai construit une vie. Et aujourd’hui, ce sont mes enfants qui doivent vivre avec cette même incertitude. »


Je reste silencieux. Majid me regarde.
- « Cette fois, je ne peux vraiment pas t’aider », lui dis-je. « Je ressens exactement la même chose que toi. »

Des personnes comme Majid sont aujourd’hui nombreuses en France. Elles se posent des questions profondes sur leur avenir dans un pays auquel elles ont souvent tout donné. S’il est légitime de s’inquiéter de certains comportements, discours ou organisations radicales, il est dangereux - et profondément injuste - de jeter le discrédit sur toute une population. C’est cela qui angoisse le plus Majid… et tant d’autres.

*****
Azzédine Gaci est recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne.

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