Face à l'impunité d'Israël : l'Union européenne est-elle morte à Gaza ?

Par Laurent Baudoin, le 28/07/2025

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L’Union européenne, en refusant de sanctionner l’État d’Israël tout en reconnaissant qu’il viole l’accord d’association signé avec elle, détruit l’idéal européen et le principe même du droit comme moteur de la vie démocratique. Elle se rabaisse au rang de simple association mercantile, sans éthique ni aspirations humanistes.

Tout en reconnaissant qu’Israël viole constamment l’article 2 de l’accord d’association signé en 2000 – qui conditionne les avantages douaniers et commerciaux accordés à Israël à son respect des droits humains (61 violations du droit international recensées) – les dirigeants de l’UE ont décidé de ne prendre aucune sanction contre cet État.

En acceptant officiellement de ne pas respecter ses propres règles de droit, l’Union européenne atteint un point de rupture majeur avec ses engagements historiques. Au risque de voir ses dirigeants non seulement déshonorés par cette trahison, mais poursuivis par la justice internationale pour complicité de génocide à Gaza.

L'échafaudage « humaniste » européen s'est écroulé

C’en est donc fini des espoirs suscités il y a trois siècles par le mouvement des Lumières, largement fondé sur la prééminence et le respect du droit. Une situation humiliante pour les 447 millions d’habitants de l’UE (même si celle-ci ne représente pas toute l’Europe) et sujet de dérision et d’inquiétude pour les autres parties du monde.

C’est tout l’échafaudage « humaniste » jadis proclamé haut et fort par l’Europe qui s’écroule, du fait des Européens eux-mêmes – du moins de leurs dirigeants car les peuples ne sont pas sur la même ligne, au vu de l’extension du mouvement d’opposition au génocide et de soutien au peuple palestinien. Une fois de plus, en Europe comme ailleurs et sur de nombreux sujets, les politiques sont en retard sur les citoyens, avec des conséquences désastreuses pour la démocratie. Qui pourra désormais évoquer, sans susciter la honte ou la moquerie, les valeurs « européennes », « occidentales » ou prétendument « judéo-chrétiennes » ?

L’acte I du renoncement de l’UE a été un condensé de déni et de répression : refus de condamner explicitement Israël pour ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza et en Cisjordanie occupée, refus de qualifier de génocide ce qu’un nombre croissant d’experts de l’ONU et d’ONG (y compris israéliennes) ont clairement démontré, refus de reconnaître un Etat palestinien parce qu’Israël n’en veut pas, répression des mouvements de protestation contre l’apartheid, la colonisation, le nettoyage ethnique, l’amalgame entre judaïsme et sionisme, etc. Avec, en France, une curieuse contradiction entre les propos et décisions des dirigeants et les votes de la diplomatie française à l’ONU. Expression d’un double langage ou d’un malaise et d’une confusion des esprits ?

En Europe, le sursaut viendra peut-être de quelques pays qui prennent leurs distances avec cette UE en perdition politique et morale. Sous la houlette de dirigeants courageux et de peuples éclairés, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, la Slovénie, la Norvège cherchent à renverser la tendance, au sein du Groupe de La Haye, en coopération avec les pays du Sud global. Les 15 et 16 juillet, un « sommet d’urgence pour la Palestine » a réuni à Bogota en Colombie 32 Etats de tous les continents pour combattre « l’impunité juridique occidentale »).

Une Palestine sacrifiée sur l'autel des intérêts des puissances européennes

Si l’on remonte un peu en arrière, on s’étonne moins de ce qui se passe aujourd’hui. L’architecture de la tragédie actuelle se trouve dans la duplicité et les intérêts des grandes puissances européennes du début du XXe siècle (Grande-Bretagne et France notamment), désireuses de se partager les juteux vestiges de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale.

La responsabilité de la Grande-Bretagne est majeure avec, en 1917, la pernicieuse et impérialiste déclaration Balfour, suivie en 1920 du mandat britannique sur la Palestine qui accélère le processus de colonisation sioniste de la Palestine, avec les moyens politiques, logistiques et financiers adéquats. La France aurait pu freiner le mouvement, mais, fascinée par la perspective d’un mandat sur le Liban et la Syrie, elle abandonne la Palestine aux Anglais, pour le plus grand malheur de celle-ci.

L’Allemagne, après avoir commis le crime de la Shoah, entre dans le processus de spoliation des Palestiniens de la façon la plus perverse qui soit. Après 1945, animée par un sentiment justifié de culpabilité envers les Juifs, l’Allemagne se décharge de sa responsabilité en bénissant l’État d’Israël pour l’éternité, en commet l’erreur fatale mais significative de confondre judaïsme et sionisme. La Constitution et les lois allemandes, en assimilant critique d’Israël et antisémitisme, répriment de plus en plus sévèrement la liberté d’expression des citoyens. On n’en est pas loin en France, où le fossé s’accroît entre les décisions des dirigeants et les avancées du droit interne et européen. On peut s’étonner d’un tel manque de discernement dans un pays aussi traditionnellement attentif au droit que la France.

À cela s’ajoute une multiplicité d’actions publiques ou secrètes en faveur d’Israël – comme en 1956 l’aide du gouvernement Guy Mollet dit « de gauche » à la mise au point de l’arme nucléaire israélienne, sans obligation pour Israël de se placer sous le contrôle de la communauté internationale (pourtant exigé des autres puissances nucléaires dont l’Iran). Sans oublier le silence européen sur la participation durable des partis racistes d’extrême-droite au gouvernement israélien – quand l’arrivée au pouvoir de l’extrémiste de droite Jörg Haider en Autriche en 2000 avait soulevé un flot de protestations…

L'urgence d'un sursaut salvateur

On s’étonne aussi que dans des pays dits « civilisés » comme les États européens, aucune réflexion de fond n’ait été menée au niveau officiel sur le choix des mots, des concepts et des moyens pour combattre au mieux l’antisémitisme, dans un esprit de discernement, de justice et de sauvegarde des libertés publiques. Faut-il y voir une stratégie délibérée et concertée pour maintenir Israël dans une position dominatrice au Proche-Orient, au service des intérêts d’un Occident suprémaciste et néocolonial ? Ce qui serait d’ailleurs conforme aux intentions sionistes du début du XXe siècle. Autrement dit, rien n’a changé en un siècle, malgré le désastre humain de la Seconde Guerre mondiale et les beaux discours qui suivirent (« Plus jamais ça ! »).

Dans cette optique, les considérations éthiques pèsent peu. Nos dirigeants ne sont guère perturbés par la question de savoir pourquoi les Palestiniens devraient payer le prix de l’antisémitisme séculaire des Européens (auquel s’est ajouté celui des Américains refusant d’accueillir des réfugiés juifs après 1945), ni par le risque que l’assimilation du judaïsme au sionisme fait peser sur la sécurité des Juifs du monde entier (qui peuvent craindre d’être injustement perçus comme coupables ou complices du génocide à Gaza).

Et que dire de ces Européens prompts à brandir l’étendard de la laïcité (surtout quand il s’agit de l’islam) mais qui s’accommodent de la « justification » biblique des dirigeants israéliens pour massacrer les Palestiniens, arbitrairement déclarés descendants des Amalécites, ennemis jurés des Hébreux il y a 3 000 ans !

Comment l’Union européenne a-t-elle pu tomber si bas ? Peut-elle encore sérieusement invoquer, pour faire sa promotion, les « valeurs humanistes » occidentales, européennes ou même chrétiennes, alors qu’elle tend à devenir une simple association de commerçants et de financiers, indifférente aux aspirations éthiques et autres (environnementales notamment) de ses citoyens ? Avec pour corollaire la difficulté d’exiger le respect des normes sociales par une jeunesse déboussolée qui a en permanence sous les yeux la preuve que ses aînés violent en toute impunité les règles qu’ils se sont eux-mêmes fixées. On voit l’ampleur des dégâts causés par la lâcheté, l’incompétence et le cynisme, et l’immensité du désenchantement !

Oui, à moins d’un sursaut salvateur urgent, l’Union européenne est morte à Gaza !

Signez la pétition Avaaz : « Contre la famine à Gaza, faites entrer la nourriture ! »

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Laurent Baudoin est coresponsable de l'atelier Israël-Palestine au sein du Groupe d'amitié islamo-chrétienne (GAIC).

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