A la rencontre d’amitié islamo-chrétienne à Taizé : « Espérer au-delà de toute espérance »

Par Elodie Blondeau, le 30/07/2025

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La colline de Taizé, en Bourgogne, a accueilli du 13 au 17 juillet 2025 la huitième rencontre d’amitié entre jeunes chrétiens et musulmans, qui les invitait cette année à plonger ensemble dans l’espérance. C’est dans ce lieu de prière chrétien œcuménique pour les jeunes qu’environ 200 d’entre eux (sur les 2 000 présents sur le site) sont venus spécifiquement participer à cette rencontre. Des jeunes musulmans des mosquées de Lille, de Massy, de Trappes et d’ailleurs en France ont fait le déplacement, ainsi que des membres du mouvement Coexister et du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC).

Tout était pensé et préparé soigneusement pour permettre aux jeunes de faire pendant quelques jours « un pèlerinage vers l’autre » et de donner chair au mot « fraternité », grâce à un cadre bienveillant instaurant un climat de confiance propice à faire l’expérience d’une hospitalité réciproque et d’une connaissance mutuelle.

Une conversion du regard essentielle

Les journées étaient bien remplies. Chaque matin, un temps d’enseignement à deux voix autour du thème de l’espérance, à partir d’extraits choisis du Coran et de la Bible, ont été présidés par l’imam Chamouini Chamsouddin, de la mosquée de Massy, et Frère Luc, de Taizé, puis suivis de temps d’échanges en petits groupes. L’après-midi, des ateliers ont mis en valeur des témoignages de personnes engagées sur le terrain au niveau du dialogue et de la rencontre interreligieuse. Ces temps sont très aidant pour apprendre à regarder autrement l’autre, à déplacer les préjugés et méconnaissances, à voir au-delà des apparences, au-delà de ce qu’on croit connaître, à appréhender le commun mais aussi le différent… cette conversion du regard me semble un fruit essentiel de ces journées.

La journée était aussi rythmée par la prière, avec la possibilité pour les musulmans d’assister aux prières de Taizé et aux chrétiens d’assister aux prières musulmanes dans une salle qui leur était apprêtée le temps de la rencontre.

Au-delà de la dimension spirituelle, l’expérience « Taizé » est aussi celle d’un quotidien partagé : les repas, les services, les temps de convivialité du soir… autant de moments propices pour tisser des liens et « s’entreconnaître ».

La fraternité à travers la reconnaissance de l’authenticité du chemin spirituel de l’autre

« A Taizé, on n’a pas l’impression d’être en France », « c’est un lieu où l’on se sent accueilli avec bienveillance », « un lieu qui montre le potentiel des relations entre chrétiens et musulmans », « ce qui surprend à Taizé c’est le vivre ensemble dans la diversité »… tels sont les mots exprimés par des jeunes. Mais quels sont donc le secret et la force de ces rencontres d’amitié dans ce lieu qui, pourtant, au niveau « confort » n’a rien de particulièrement attirant pour la jeunesse ?

Taizé offre un cadre qui permet, tout particulièrement aux jeunes musulmans mais aussi aux jeunes chrétiens, de faire l’expérience d’être accueilli avec bienveillance et sans jugement avec leur foi et leur appartenance religieuse. Faire cette expérience nourrit l’espérance d’un vivre ensemble possible sans mettre de côté cette appartenance qui donne sens à notre vie.

Ce cadre permet de nous placer ensemble, chrétiens et musulmans, sous le regard de Dieu, de faire l’expérience de « ressentir la connexion à Dieu même si ça n’est pas notre religion ». Ce partage spirituel, même si l’expression de la prière est différente, permet de se reconnaître comme croyants en Dieu. Cette reconnaissance de l’authenticité du chemin spirituel de l’autre me semble essentiel pour qu’une vraie fraternité émerge ; pas une fraternité « malgré » l’appartenance religieuse (comme les jeunes le vivent souvent dans la société) mais à partir d’une appartenance religieuse différente qui soit reconnue et respectée. Les moments privilégiés de partage sont l’occasion de parler les différences, mais celles-ci sont mises à leur juste place et ne résonnent plus comme adversité mais comme complémentarité.

Devenir porteurs et diffuseurs de l’espérance reçue à Taizé

Au cœur d’une actualité nationale et internationale très inquiétante et qui, pour bien des raisons, peut pousser à la désespérance, ces journées vécues ensemble sous le regard de Dieu, dans ce lieu qu’unanimement les jeunes chrétiens comme les jeunes musulmans ont nommé « havre de paix », ont apporté à chacun-e un grand souffle d’espérance ainsi que l’envie de retourner dans leur quotidien en diffusant « l’esprit Taizé » : un esprit bienveillant d’ouverture à l’altérité qui s’efforce de déconstruire les préjugés et de changer son regard sur l’autre différent, notamment de par son appartenance religieuse. Afin que l’expérience « Taizé » ne soit pas juste une parenthèse dans leur vie, mais qu’elle suscite un désir d’engagement réel pour faire advenir ce que leur foi leur donne d’espérer et leur a fait toucher pendant ces jours.

Comme le disait l’imam Chamouini, « le monde changera par des secondes transformées en acte d’amour. Celui qui veut la paix doit commencer à la féconder dans le présent. Que Dieu fasse de nous des ambassadeurs de paix et d’espérance ».

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Sœur Elodie Blondeau est co-déléguée du Service des relations avec les musulmans pour la Seine-Saint-Denis et membre du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC)

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