L'audace derrière Nostra Aetate, ce texte fondateur qui a inscrit l’Eglise catholique dans le dialogue interreligieux

Par Hélène Millet, le 03/11/2025

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Le 11 octobre 1962 s'ouvrait dans la basilique Saint-Pierre de Rome le concile Vatican II, l’assemblée des évêques du monde entier, convié par le pape Jean XXIII pour répondre aux défis que lançait à l’Eglise catholique un monde perçu comme vivant « une grave crise de la société » et se trouvant « au tournant d’une ère nouvelle ». Pendant trois ans, 2 450 évêques se sont donc interrogés sur les changements que devait entreprendre leur Eglise pour répondre à cette situation nouvelle. Au terme de ces échanges, seize documents ont été publiés, dont la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, dénommée Nostra aetate et officiellement promulguée le 28 octobre 1965.

Nostra aetate sont deux mots latins qui signifient « A notre époque ». Qu’ils soient les deux premiers mots du texte n’est pas un hasard ; ils proclamaient la volonté des souscripteurs de ne pas se situer hors du temps et d’introduire une nouveauté. Dans une Eglise où la tradition était érigée en norme intangible, la déclaration faisait ainsi preuve d’une grande audace et, durant son élaboration, tout comme Lumen gentium (« Lumière des nations ») et Gaudium et spes (« la Joie et l'Espérance »), elle fut l’objet d’une opposition systématique de la part des prélats les plus traditionalistes.

Un document pour proclamer l’unicité du genre humain

En quoi consistait cette audace ? Faire descendre l’Eglise catholique de son piédestal d’unique dépositaire de La vérité et lui faire regarder les autres religions « avec un respect sincère » du fait que leurs règles et leurs doctrines « reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».

Divisée en cinq parties, la déclaration Nostra aetate est le plus court des seize documents conciliaires. Elle débute par un préambule proclamant l’unicité du genre humain et la vocation des diverses religions à répondre « aux énigmes cachées de la condition humaine qui, hier comme aujourd’hui, agitent profondément le cœur humain ». Puis, dans un paragraphe consacré aux « diverses religions non chrétiennes », elle examine en particulier l’hindouisme et le bouddhisme. Viennent ensuite « la religion musulmane » et « la religion juive », chacune faisant l’objet d’une partie. La déclaration s’achève enfin avec des considérations sur « la fraternité universelle excluant toute discrimination ».

Qu’affirme Nostra aetate sur l’islam ?

La partie sur l’islam vaut d’être citée intégralement : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.

Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».


On le voit, Nostra aetate invitait les fidèles catholiques à entrer dans une démarche interreligieuse avec les musulmans ne se limitant pas aux pieuses considérations, mais allant jusqu’à des actions menées en commun. Un programme que le GAIC s’efforce de mettre en œuvre depuis plus de 30 ans malgré la baisse d’audience considérable de ce texte conciliaire.

Mais plus qu’une baisse d’audience généralisée, il faut plutôt dénoncer un « oubli », loin d’être fortuit, de la partie de ce texte consacrée à l’islam. Celle traitant du judaïsme a, au contraire, été suivie d’un effet éminemment salutaire. En France, dans la foulée des efforts de Jules Isaac pour réécrire les manuels d’histoire, on n’a cessé de combattre la calomnie d’un peuple déicide qui a couvert tant d’actes de discrimination et de barbarie envers les juifs. La personnalité du cardinal Lustiger, juif d’origine polonaise qui s’est converti au catholicisme dans sa jeunesse, a beaucoup contribué à cette évolution ; on peut seulement déplorer que l’écart avec l’islam n’en ait été que plus flagrant.

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Hélène Millet est membre du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC).

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